🎭 Le goût des autres

Un article de Fantomas-2
Publié le 15/11/2025
Dans la section #ART
Article public d'intéret général
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🎭 Le goût des autres : snobisme, distinction et faux naturel

On aime croire que nos goûts sont sincères, qu’ils viennent d’un frisson intérieur, d’une émotion pure. Mais souvent, nos goûts ne sont qu’une manière polie de dire : « Je ne suis pas comme vous. »

Pierre Bourdieu, dans La Distinction, l’a formulé sans fard :

> « Le goût est avant tout le dégoût du goût des autres. »

Autrement dit, aimer, c’est aussi se distinguer. Celui qui préfère une performance conceptuelle à un tableau figuratif, ou un film d’auteur à un blockbuster, ne fait pas qu’exprimer une préférence : il signale un rang symbolique, un niveau de culture, une tribu. Nos goûts sont des cartes de visite invisibles.

Le snobisme, c’est quand ce mécanisme devient conscient — et un peu grotesque. Aimer une œuvre parce qu’elle est “difficile”, mépriser ce que le grand public adore, collectionner des références obscures pour exister dans le petit cercle de ceux “qui savent”. Mais le snobisme inversé n’est pas plus pur : celui du “moi j’aime le populaire, le vrai, pas les trucs de bobos” rejoue le même jeu, juste à l’envers.

Alors, que reste-t-il du goût authentique ? Peut-être le moment où l’on oublie d’avoir honte. Aimer sans chercher à impressionner. Détester sans vouloir briller.

🎨 Et vous: Quand vous aimez une œuvre, aimez-vous elle — ou ce qu’elle dit de vous ?

18 commentaires
Le surveillant
()
Soit j'aime l'œuvre pour ce qu'elle est et représente à elle seule.
Soit j'aime l'œuvre pour ce qu'elle est et qu'elle me touche ( pour plein de raisons diverses et variés ).

Puis y' a des oeuvres qui me font ni chaud ni froid ...
Un témoin
()
Certaines œuvres "simples" sont transcendantes !

Je ne sais pas si les œuvres que j'aime racontent qui je suis ou pas, mes goûts sont tellement éclectiques et particuliers...
Bidule
()
Je suis vraiment convaincue que ça dit beaucoup de qui nous sommes, ou de qui nous voulons être
Est ce que des goûts "éclectiques et particuliers" ne seraient pas le reflet d'une volonté d'ouverture, de tolérance extrême ?

Est ce que dire "cette oeuvre me touche", ou "cette oeuvre représente... - porte un message ?" ce n'est pas une façon de dire que moi en tant qu'artiste, je veux me sentir utile, je veux faire sens et toucher...

:p

Personnellement, j'ai assez conscience que ce que j'aime parle beaucoup de moi ou de ce que je veux qu'on pense de moi parfois.
Et cette théorie m'a beaucoup parlé. Je rencontre aussi beaucoup de personnes qui pensent qu'avec une belle réf culturelle, on les trouvera plus intéressantes et ils ne le font même pas fait exprès !
un fureteur
()
Je me demande dans quelle mesure aussi les œuvres que j'aime "moins" parlent de moi : c'est assez surprenant mais Mucha et Monet me laissent froide (alors qu'objectivement c'est magnifique)
Un curieux
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ils commencent par un M tous les deux... Un ex avec un prénom en M?

(v'lĂ  que je me lance dans la divination!)
LeDétective
()
J'avais un prof de philo qui disait quelque chose du genre «Quand on n'aime pas, c'est que quelque part, on ne comprend pas. Dès que je sens poindre le dégout, c'est le signe qu'il me manque des clefs de compréhension que je dois aller chercher».

Même si elle a ses limites (par exemple je n'aime pas l'œuvre de Leni Riefenstahl et je sais très bien pourquoi), j'aime bien cette idée.

Cela étant, je fais la différence entre la critique d'une œuvre et les sentiments qu'elle m'inspire. C'est l'auteur Lionel Davoust (un ancien de Parano en passant) qui m'a donné cette grille de lecture (hahaha) pour la critique : moyens, cohérence, intention. Dans les grandes lignes, si tant est que vous vouliez juger une œuvre objectivement, faites-le à l'aune de ces trois impératifs. Le reste, c'est le subjectif, ça n'appartient qu'à vous et il n'y a aucune honte à aimer une œuvre critiquable, pas plus qu'il n'y en a à ne pas apprécier une oeuvre objectivement de qualité.

Et ce que ça dit de vous vous appartient =)
Un gars
()
Le snobisme, c'est ce qui m'a fait fuir le milieu artistique. Je trouve cela tellement ridicule, malsain et inhumain.
Le surveillant
()
Se poser la question de savoir pourquoi on aime ou on aime pas ne serait pas lĂ  le snobisme?
Personnellement, je ne me pose jamais la question... J'aime, ou pas. C'est tout. Je ne compare pas, je ne questionne pas, je le sais. Pourquoi toujours vouloir tenter de theoriser ce qu'on ressent? Je pense justement que c'est à cause d'un manque de ressentis. On ne ressent rien, donc on force, donc on l'excuse par des théories.

Merde... Vivez, ressentez... Le reste on s'en bat un peu les steaks. Non?
Un égaré
()
Monsieur du snob me semble un parfait exemple.

https://youtu.be/AX_7y4D-8Is?feature=shared
Machin
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100% d’accord avec Nihil.
Un espion
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Suggérer qu'il y a une manière de juger, de lire, d'accéder, d'interpréter, d'apprécier ou non quelque chose et plus précisément l'Art, c'est l'objectiver. C'est du moins laisser sous-entendre que l'art puisse être soumis à une appréciation pure ou une critique objective dissociée de toute influence, ce qui me paraît en effet difficilement défendable.

Je trouve le point de vu de Bourdieu très pertinent et éclairant mais pas irréfutable au regard des réalités sociologiques, ethnologiques et philosophiques à l'échelle universelle. Non pas qu'il ait tord mais sa théorie mériterait d'être élargie à un spectre de nuances qui implique plus de facteurs et dépasse l'approche purement déterministe.

Car si nos goûts peuvent être la résultante d'un héritage culturel et social, il n'est pas moins vrais que nos goûts changent au même titre que notre évolution personnelle est façonnée par tout un tas d'expériences et d'évènements qui n'ont pas forcément de lien avec notre rang sociale ou notre capital culturel. Le capital dont on hérite n'est pas inflexible ou immuable, ce qui rend son impact très variable.

En résumé, sa théorie est puissante et inspirante mais malgré tout incomplète. Non seulement elle laisse de côté des réalités qui mériteraient d'être prises en compte (sensorialité/émotions, contextes, changements sociétaux/culture de masse, auto déterminisme, facteurs environnementaux divers) mais elle tend à nier implicitement l'existence d'une égalité des sensibilités et des intelligences dans les cultures.

Je me demande toujours dans quelle mesure mes goûts peuvent être le reflet indirect de mon capital culturel mais plus encore, dans quelle mesure ma sensibilité peut à l'inverse impacter ou déjouer les biais culturels et d'influence ?
Un égaré
()
@Nihil ça n'engage que moi, mais il me semble que si je me contentais de ressentir sans réfléchir, je serai, au mieux un consommateur décérébré, au pire un esclave de mes désirs... Du coup, chacun son truc, mais dans un environnement où les marchands de temps ne demandent pas mieux que de me prendre du temps de cerveau disponible, je préfère garder mon sens critique =)

@Askelle sur l'évolution des gouts, je crois qu'une des plus merveilleuses illustrations en est l'aquaphile de Desproges !
Le surveillant
()
Je pense qu’il voulait dire sans réfléchir au rapport à la société. Cela n’empêche pas la réflexion personnelle.
Un témoin
()
Exact Bla. Jamais je n'ai dit de consommer sans réfléchir. Vraiment jamais je ne dirai une telle horreur. Le sens critique est absolument nécessaire et certainement encore plus maintenant qu'on est bombardé de tout et surtout de rien.

Je voulais juste dire que théoriser de trop ou à tort quelque chose qu'on ressent est absurde. Pourquoi vouloir absolument trouver une explication à cela. En quoi ce genre de questionnement peut aider? Reduire nos goûts à celui des autres (du moins à la reaction qu'on à face à ceux des autres) est tellement déprimant... Mais vraiment. Moi j'aime une oeuvre quelle qu'elle soit parce que je l'aime, non pas parce que ça déplait à Jean-Eude (ou alors eventuellement dans une phase de révolte anti-parentale dans nos 15-16 ans) ou parce qu'on m'a dit de l'aimer.

Aimer (une oeuvre ou même une personne) est encore la chose la plus égoïste qu'on a le droit de ressentir. Il n'y a aucune plus value à vouloir aller rechercher cela chez un autre. C'est quelque chose qui vient de nous, pour nous. En tout cas, c'est comme ça que je le sens.
Un égaré
()
@Nihil, merci pour cet avis que je trouve aussi intéressant que questionnant.

La première réaction est bien évidement et majoritairement émotionnelle (manifestation ou absence d'émotion). Je comprends donc tout à fait qu'on priorise le ressenti au reste.

Non seulement parce que la réaction émotionnelle constitue une expression suffisamment significative pour se suffire à elle-même mais également, parce que c'est souvent l'impression qui domine et persiste dans le temps. Sans compter que c'est un des facteurs qui va motiver qu'on s'exprime ou non sur l'oeuvre ou sur les émotions suscités.

Mais de mon point de vue, le ressenti, l'introspection, ne s'oppose aucunement à l'analyse ou à la réflexion. Ce sont deux évènements complètement dissociés qui peuvent s'alimenter mutuellement mais dont le rapport est surtout chronologique : on ressent d'abord (on reçoit l'oeuvre), on questionne ou analyse après (ou pas!). (En schématisant très grossièrement). Mais comme en amour, c'est compliqué de dire que cela doit reposer uniquement sur l'émotion ou uniquement sur la raison. C'est souvent un mélange complexe des deux. L'un ou l'autre peut dominer ponctuellement mais c'est souvent au détriment de quelque chose.

Et puis surtout, ce n'est pas parce qu'on peut éprouver du plaisir à échanger de manière plus profonde ou parfois de manière plus superficielle sur les raisons de nos réactions, qu'on n'a pas pleinement ressenti sur l'instant T.

D'après moi, il n'y a pas vraiment matière à comparer mais je comprends l'idée générale.

Par contre, j'avoue ne pas avoir compris ce passage : "Je pense justement que c'est à cause d'un manque de ressentis. On ne ressent rien, donc on force, donc on l'excuse par des théories."

Comment ça, on ne ressent rien ?
Tu nous prends pour des blobs ? XD

Désolé mais il est parfois nécessaire qu'on me répète les choses pour que je les saisisse. Et quand l'ambiguïté persiste, j'invite même mon interlocuteur à me causer comme à une enfant de 8 ans! :)
Truc
()
Oh non, je ne prends personne pour un blob. On ressent tous, on a tous nos préférences, mais certains forcent juste certaines et c'est là qu'apparait le snobisme.

Par là, je voulais simplement dire que j'ai l'impression que certains "penseurs" se sentent obligés de ressentir face à quelque chose qui ne leur procure justement aucun ressentis. Et pour ce faire il y a cette intellectualisation qui se fait à l'extrême poussant à s'obliger à justifier son non ressenti par un certain snobisme et donc se forçant à dire apprécier ou non quelque chose, mais uniquement en se basant sur l'effet que cela fera sur son entourage. Et ensuite, il y a la théorisation de tout cela par des grandes phrases, des grandes sciences qui s'imposent à tous parce que joliment écrite par de grands noms.

Alors j'ai bien conscience que ce que je viens d'écrire n'est absolument pas clair. Mais j'avoue que je ne sais pas comment l'expliquer autrement.
Un Intrus
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Laisses moi deviner... En disant cela, tu penses aux intellectuels et aux critiques gravitants dans le marché de l'art contemporain ? :)
Entre autres, d'une élite intellectuelle dont le discours engage des enjeux financiers et politiques qui justifient une certaine malhonnêteté intellectuelle (et donc émotionnelle) ?

En complétant avec ton précédent message, je réalise qu'on passe peut-être un peu à côté du sujet. Je conçois complètement qu'on puisse estimer toute tentative de comparaison, de validation ou d'approbation comme une démarche stérile, futile et infondé mais il y a quand même une nuance non négligeable dans le sujet qui nous concerne.

On ne parle pas tant des avis et des ressentis que peuvent susciter ou non les oeuvres auxquels nous sommes exposés mais de questionner, d'une part, les raisons et les influences insoupçonnés qui régissent nos propres émotions. Et d'autre part, la nature de nos goûts. Sont-ils vraiment de nature instinctives, innées ? Sont-ils définit selon des facteurs/biais inconscients ?

On ne questionne donc pas la légitimité de tel ou tel ressenti, toutes les émotions sont légitimes en réalité.

La question est plus introspective et philosophique au final.

Pour répondre à : "En quoi ce genre de questionnement peut aider ?".

Je ne suis pas sûre qu'il ait vocation à "aider", mais à apprendre et comprendre sans aucun doute. Au-delà d'être enrichissant, comprendre nos réactions, nos comportement et les biais auxquels on peut être soumis, reste un excellent moyen de s'émanciper et de comprendre son prochain (et soi-même). Je parle ici d'enrichissement humain et désintéressé. Sans finalité consciente, sans démonstration, sans prétention de connaissance. Juste le plaisir de comprendre et d'apprendre.
Un Intrus
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Merci pour la ref BiRg ! :)
Je connaissais Desproges mais pas cette chronique.
La chute est géniale.
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