Derrière les masques
J’entre dans l’open space. Le bruit des claviers, les respirations étouffées, les chuchotements calibrés. Tout est calme, mais je sais : chacun porte un masque.
Elle, la parfaite aux têtes blondes, ajuste son pull avec une précision de chirurgienne. Derrière cette perfection, je devine une colère retenue, un besoin de contrôle sur une vie qu’elle n’a jamais vraiment choisie. La maman de jumeaux, elle, parle sans respirer, rit trop fort. Son masque ? L’énergie, le sourire. Ce que je vois : une fatigue invisible, une solitude qu’elle tente de noyer dans le bruit.
La référente fantôme passe, le regard lointain, l’air détaché. Son masque ? L’indifférence. Mais je sais que derrière, il y a la peur de se tromper, le vertige de l’exposition. Et puis il y a les nouveaux, arrogants et sûrs d’eux, qui débarquent avec leurs méthodes fraîchement apprises. Leurs masques sont pleins de confiance. Ce que je lis ? L’insécurité que rien ne couvre encore, la fragilité derrière l’assurance.
Et mes clients, que je croise chaque semaine : le sprinter sans chrono, toujours pressé, l’angoisse cachée derrière son rythme effréné. La wedding planner de compétition, stratégique et impeccable : derrière ce glamour, une fragilité que seule sa réussite tente de masquer. Le commercial mielleux, poli et solaire : derrière le sourire, la solitude et la crainte de disparaître. Le banquier déchu, ancien tout-puissant, maintenant humble : derrière sa retenue, la peur de perdre sa valeur.
Moi ? Mon masque ? La calme, la référence, celle qu’on consulte quand tout déraille. Ce que je cache ? La fatigue, la colère, l’envie parfois de tout envoyer valser. Je souris, j’écoute, je conseille. Je ne le montre pas, mais je suis en alerte permanente. Mon rôle est de percevoir, d’anticiper, de protéger ce que personne d’autre ne voit.
Un instant, un client s’énerve. Le masque tombe. La peur, la honte, la douleur, tout se mêle. Je lis tout, je décèle tout. Et dans ce moment-là, il n’y a ni masque, ni artifice : juste la vérité.
J’aime les autres pour ce qu’ils sont derrière leurs masques. Mon art, après dix ans de travail et d’observation, est de voir l’invisible, de comprendre sans juger, de protéger sans exposer. Parce que ce que l’on montre n’est jamais tout. Et ce que l’on cache peut être la seule vérité qui compte.
"la parfaite aux têtes blondes"
J’y vois le soin qu’elle apporte à sa présentation, comme une manière d’incarner le sérieux et la rigueur, et de ce qu’elle veut inspirer.
"La maman de jumeaux"
J’y vois une formidable énergie qu’elle mobilise pour fédérer et maintenir le lien autour d’elle, une combativité joyeuse, une force de présence capable de créer une atmosphère vivante, chaleureuse et engageante.”
"La référente fantôme"
J’y vois une manière de garder une distance qui lui permet d’observer sans se laisser happer, une forme de calme intérieur, une force de ne pas se disperser dans le bruit ambiant, peut-être pour mieux comprendre ou préserver son espace mental, mais surtout qui peut donner de la stabilité quand tout s’agite autour.
Aujourd'hui, j'ai décidé de voir le côté positif derrière le masque des collègues.
Merci pour ce partage
On a pas rencontré les mêmes. Mais je les adore, faut pas se méprendre!
En fait j'allais à un séminaire, donc j'ai profité de ton article à point nommé pour me preparer mentalement.
Un trompe-pensées optimiste parfois - oserais-je dire, mais comme il faut y faire bonne figure, ça aide. ;)
Quelle belle mission @Lisa :)
Mais ça reste vrai. Beaucoup diront que je suis prétentieuse mais je crois (l'expérience a montré) que je cerne assez bien les situations (les gens?) et que pour les dénouer (les aider?) il faille souvent faire preuve de subtilité dans l'expression d'une réponse (à leurs besoins ?) sans froisser les égos (leurs convictions profondes..?)