Billet d'humeur : Est-ce que le wokisme ne fabrique pas ce qu’il combat ?
Il y a quelque chose de fascinant dans le concept de wokisme. À l’origine, il s’agissait d’une vigilance salutaire : ouvrir les yeux sur les discriminations, les injustices, les mécanismes invisibles qui, souvent, font tourner le monde dans un seul sens — celui des plus forts, des plus visibles, des plus “installés”. Jusque-là, rien à redire : qui peut sérieusement être contre l’idée de rendre la société plus juste et plus inclusive ?
Mais c’est dans l’application, dans le quotidien, que les choses se corsent. Parce qu’à force de vouloir tout déconstruire, tout analyser, tout découper, on finit parfois par atomiser la cause commune. On ne parle plus d’égalité au sens large, mais de petites égalités particulières, mises en concurrence les unes avec les autres.
Prenons un exemple fictif (mais pas tant que ça) : la lutte féministe. Pendant des décennies, elle a cherché à faire entendre une voix collective : les femmes, dans leur diversité, face à un système patriarcal qui les réduisait. Mais aujourd’hui, ce collectif se fragmente : femmes blanches contre femmes racisées, femmes cis contre femmes trans, femmes privilégiées contre femmes précaires… Résultat ? Au lieu de combattre ensemble le patriarcat, on s’épuise à s’accuser mutuellement de ne pas être assez “légitime” pour représenter la cause. Et pendant ce temps-là, devine qui trinque le moins ? Le patriarcat.
C’est ça le paradoxe du wokisme : en voulant donner la parole à tout le monde, il crée des chapelles identitaires qui ne se parlent plus. Chacun défend sa parcelle de souffrance, parfois jusqu’à en nier celle des autres. On ne cherche plus la justice, mais la hiérarchie de la douleur. Qui est le plus discriminé ? Qui souffre “vraiment” ? Qui a le droit de parler ? Et cette logique-là, soyons honnêtes, c’est une impasse.
Et puis, il y a l’autre effet pervers : à force de dénoncer les privilèges, on finit par les réassigner. Tu es un homme blanc hétéro ? Silence, tu n’as rien à dire. Tu es une femme cisgenre de classe moyenne ? Désolée, ton expérience n’est pas représentative. On en arrive à une étrange situation où le discours d’égalité aboutit à… créer de nouvelles inégalités. Pas juridiques, certes, mais symboliques et sociales. Et ces barrières-là sont tout aussi violentes.
Je ne dis pas qu’il ne faut pas être vigilant aux nuances. Bien sûr que la vie d’une femme racisée dans un quartier défavorisé n’a rien à voir avec celle d’une bourgeoise parisienne. Mais si l’on se contente de dresser des frontières entre elles, au lieu de construire un pont, à quoi bon ? Ce n’est pas en séparant qu’on additionne les forces. C’est en rassemblant.
Le wokisme voulait abattre les murs. Et parfois, il en construit de nouveaux, plus étroits, plus étouffants : chacun dans sa case, chacun avec son étiquette, chacun avec son monopole de la souffrance. Comme si l’humanité devait se gérer en syndic de copropriété, avec un règlement intérieur pour savoir qui a le droit d’ouvrir sa bouche à l’assemblée générale.
Alors oui, il y a quelque chose d’urgent à repenser : et si, au lieu de découper le gâteau de la dignité en parts toujours plus petites, on se souvenait que la dignité est une table extensible ? Plus on y ajoute de chaises, plus il y a de place. C’est ça, l’égalité : non pas fragmenter les luttes en miettes, mais comprendre que toutes ces luttes n’ont de sens que si elles se tiennent ensemble.
Bref, le wokisme est une belle idée… tant qu’il reste un outil pour ouvrir les yeux, pas une arme pour les crever.
Le wokisme est une utopie et comme toutes les utopies c'est voués a ce casser la gueule. Le mouvement humaniste est devenu politique et donc s'est perverti par le privilège ou la reconnaissance que chaque groupe veux en tirer.
Le premier exemple sur le féminisme ne tient pas. On sait historiquement que les mouvements féministes menés par les femmes blanches (comme les suffragettes par exemple) excluaient les femmes noires et racisées de leurs luttes. C’est à cause de cette exclusion et du white feminism que sont nées les theories intersectionelles de Bell Hooks notament. Et c’est tout le contraire en fait qui en découle. L’idée c’est de permettre aux personnes qui cumulent le moins de privilèges systémiques et qui ont historiquement été exclues des luttes de pouvoir reprendre l’espace qu’elles méritent au sein du milieu militant.
Donc oui, personne n’est mieux placé pour parler de racisme, de sexisme, de validisme, ou d’lgbtphobie qu’une personne qui le vit et qui déconstruit ses propres biais oppressifs.
Le problème de la bourgeoise parisienne, c’est qu’elle va défendre "la liberté d’importuner" pendant que les prolotes se font harceler, frotter, agresser dans les métros. Le problème de la bourgeoise ça va être de "défendre le droit à la laïcité " alors que les musulmanes voient leurs droits bafoués et voudraient juste pouvoir exister dans l’espace public et être libre de vivre leur foi sans avoir à se justifier en permanence. Le probleme des bourgeoises, c’est de mettre leur argent dans des associations transphobes comme JK Rowling pour réduire les droits de nos sœurs trans.
Donc non on est pas ensemble. L’idée c’est effectivement de rassembler, mais pour celleux qui rament contre on ne se battra pas, on est définitivement pas dans la même barque.
On est pas là pour séparer et mettre dans des cases, mais pour ça faut il encore avoir conscience de ses privilèges et avoir la volonté de travailler sur ses propres biais. Sinon c’est juste de l’humanisme sans aucune compréhension des particularités et difficultés qui sont propres à chacun.e.
Il semble que ce soit très difficile à accepter pour beaucoup de prendre sa place, et juste sa place et pas celle des autres quand on est habitué à avoir tous les droits et le droit de dire ce qu’on pense de tout, même de ce qu’on ne connaît pas et de ce qu’on ne vit pas. Occuper juste son espace, c’est laisser aux autres le droit d’avoir le leur. Genre normal en fait. Mais bon c’est juste un point de bue de woke, ça vaut ce que ça vaut.
La majorité du personnel était également féminin. Dans la bibliothèque de la patronne, il y avait des ouvrages de référence sur le matriarcat.
Alors je ne me suis pas fait maltraiter, ça va... mais j'ai pu constater que, puisque j'avais un pénis, j'étais un élément très secondaire du groupe.
Il y a quand même 2 fois où j'ai dû sortir la testo et brailler comme un connard, pour qu'on m'écoute alors que j'essayais de communiquer une information concise, et tout à fait pratique, pour le travail qu'on allait effectuer deux minutes plus tard.
C'était quand même assez flagrant quoi.
Alors oui, les mâles sont des connards. Ça ne mérite pas le terme d'hommes. Et leur violence devrait être punie plus sévèrement, lorsqu'elle est démontrée (Ou lors d’antécédents similaires et répétés. ).
Mais les femmes, les "racisés", les gays et transgenres (Pour ne citer que ceux qu'il m'a été donné de fréquenter. ) reproduisent exactement les mêmes schémas lorsqu'ils en ont l'occasion.
Et c'est pour ça que je ne peux prendre le wokisme trop au sérieux, lorsqu'il devient radical.
Ou pas? Peut-être que toute proportion gardée il vaut mieux éviter.
En France, c'est grâce aux luttes syndical qu'on a pu avoir des acquis sociaux. Les droits des votes des femmes? Elles sont étaient ultra radical pour obtenir cela. Je vous rappelle que nous vivons dans un monde patriarcale avec des normes.
Les gens qui disent le wokisme etc, c'est surtout des personnes qui sont peurs de la différence.
Pour @Serenihil --> "reproduisent exactement les mêmes schémas"
C'est partout pareil. Les anars vont reproduire aussi des schémas qu'iels combattent. etc etc. L'entre soi, c'est pourri.
Mais vu le contexte politique général droite/extrême droite quasiment partout, je trouve que si on part sur une autocritique ça mérite un peu de profondeur pour ne pas alimenter les biais oppressifs des antiwokes.
Personnellement, je suis assez divisé sur cette question. Ce n'est pas tant le wokisme le problème que les réactions qu'ils suscitent.
Le wokisme souffre d'une polarisation extrême, à la fois en tant que contributeur (par ses positions militantes souvent radicales et binaires) et en tant que victime (instrumentalisé dans des débats qui exacerbent les clivages pour des enjeux politiques). Néanmoins, cette polarisation n'est pas inhérente au wokisme, mais résulte d'un système médiatique et social qui favorise les extrêmes au détriment du dialogue nuancé. Les rapports de force sont effet rarement nuancés.
Pour dépasser cela, une approche "truth-seeking" invite à distinguer les revendications légitimes (contre les discriminations) des excès idéologiques, favorisant une vue multifactorielle qui intègre histoire, économie et psychologie sociale.
Sans cela, le wokisme risque de perpétuer un cycle de divisions, comme l'illustrent les débats actuels aux États-Unis et en France.
Autant dire que le wokisme pose en vérité moins de problèmes que certains wokistes réactionnaires qui limitent la complexité des conflits sociaux à des versus dominants/dominés en écartant toutes subtilités et nuances historiques au détriment de la cause qu'elle est censé défendre.
Comme je le disais plus haut, la seule chose que je reproche au wokisme c'est qu'il inclue des injustices diverses qui ont en réalité pour seul point commun de concerner des minorités alors que les problématiques auraient tout intérêt à être traité au regard de la complexité et du contexte que pause de manière très différenciée chacune d'elle, et non pas seulement sous le prisme identitaire et communautaire.
Le risque c'est qu'on finisse par se positionner seulement "en réaction à" et non plus dans une démarche réflexive, sociologique et sensible pourtant indispensable à la progression de ces luttes. On se replie juste dans une posture de principe à la con ou la minorité a forcément raison et les privilégiés demeurent forcément oppressants sans questionner la nature de interactions qu'elles impliquent.
Concernant l'identité et le genre, c'est un questionnement qui gagnerait a être traité sur le plan philosophique et non principalement sociologique.
Voilà, c'est exactement ça.
Donc c'est avec ce genre de discours que tu voudrais me fédérer aux luttes soit-disant progressistes ?
Nous ne sommes plus dans les années 80 : le déclassement est devenu universel. Et répéter plus de 20 ans durant à des gens qui ne savent plus se chauffer ou aller chez le dentiste qu'ils sont privilégiés sous prétexte qu'ils sont blancs, et alors qu'ils n'ont aucune perspective d'amélioration, ben ce n'est peut-être pas la façon la plus intelligente de les fédérer.
Et je n'en veux pas aux woke, sincèrement. Ce n'est pas de leur faute : toute la dynamique, quelle que soit la cause, semble humainement inévitable.
À force de se battre pour des causes, face à des forces contraires hypocrites, corrompues, et pour lesquelles la fin justifie tous les moyens, on se rigidifie, on se cristallise sur ses positions, on emprunte les méthodes les plus impactantes.
Ça rejoint un peu ce dont parlait Heyoka à-propos de l'entre-soi, ou de la radicalité.
Mais du coup, il ne faut pas s'attendre à ce que l'on atteigne une société à peu près apaisée. J'en étais arrivé à cette conclusion : ce que le genre humain peut faire de plus approchant de la justice sociale, c'est la claudication alternée d'un extrême à l'autre.
Lorsque je regarde aujourd'hui les forces, d'un côté du progressisme, de l'autre du conservatisme... j'arrive pas à choisir les gars.
Parce que peu importe de quel côté la balance va pencher : ça va être l'enfer.
D'un côté j'en ai qui ont été aux bonnes écoles, qui vivent et roulent à trottinette dans les grandes métropoles, qui répètent depuis 20 ans au clochard que je suis que je suis un privilégié, et qui dans les faits voudraient tout simplement réduire ma citoyenneté critique au silence sous prétexte de ma couleur de peau et de mon sexe (C'est beau l'inclusivité. ).
De l'autre j'ai un fan de ratonnades gay qui, certes, dans un premier temps, aurait peut-être plus à cœur d'améliorer ma situation, mais homogénéisera la société en la fascisant, en étranglant ce qui reste de la démocratie et en s'en cirant le pipou du changement climatique.
Entre autres choses.
Alors j'essaie de rester droit (Et Dieu sait qu'avoir une colonne vertébrale dans ce monde c'est un handicap. ), et je peux temporairement m'approcher de groupes pour participer à des projets spécifiques... mais je ne m'identifie à aucun des grands courants qui participent comme c'était la thèse initiale de l'article, à fracturer plus encore un monde qui ne tient déjà presque plus debout.
Facile, ça l'est. Ca devrait l'être.
Et en effet, l'intersectionnalité offre indéniablement des clés de compréhension pertinents concernant le caractère multidimensionnelle des inégalités sociales. Cela dépasse la simple question d'injustice et de classes puisqu'elle remet en cause la nature unidimensionnelle de l'oppression tout en analysant le pourquoi de l'échec des mesures anti-raciste et anti- discrimination. D'après Kimberlé Williams Crenshaw, c'est justement parce qu'on traite le problème que sous un seul axe et sans considérer les points interactionnels des discriminations que les inégalités persistent.
Je comprends bien évidemment cette approche autant que je la soutiens mais elle n'est pas non plus exempt de critiques. La pertinence d'une théorie sociologique se mesure aussi à l'opérationnalisation et la concrétisation du concept en terme de solution. L'intersectionnalité est un point d'éclairage précieux pour appréhender la question raciale et les inégalités (dont on aurait tort de se priver) mais en comparaison, le wokisme est un terme qui renferme une multitude de concepts et de théories inégales dans leur développement et leur légitimité théorique qui ne permet pas une adhésion complète, cohérente (et aveugle).
Merci pour ta riche contribution :)
Cela étant, je me demande, aussi bien au vu des échanges dans cette propa que dans l’internet mondial, si le problème fondamental ne résiderait pas plutôt dans un décalage de vécu et un besoin de reconnaissance non assouvi, ce qui serait de nature à créer une incompréhension dont l’envergure pourrait faire pâlir de jalousie le grand canyon. Dit autrement, chacun a une tendance naturelle à considérer sa réalité comme La Réalité et projeter son rapport au monde comme universellement partagé. Parfois cela joue sur des trivialités comme savoir si une robe est blanche ou bleue, et parfois on parle de la place morale dans la société.
Prenons un exemple concret (et hyper consensuel vous allez voir) : on peut être tenté de blâmer la stupidité de ces femmes qui, sans hésiter, déclarent qu’elles préféreraient être seules avec un ours qu’avec un homme au milieu des bois et mansplainer sur les ours, ou alors on peut chercher à se demander ce que peut bien être leur vécu collectif pour qu’on en soit arrivé là, et accepter l’idée que ça ne peut être que systémique. Je me dois d’être honnête ici : oui en tant qu’homme la première fois que j’ai entendu cette histoire j’ai ressenti une injustice, ainsi que l’envie primaire de mansplainer que les ours sont dangereux et qu’il ya des mecs biens. Mais au lieu de céder à l’émotion, en se posant juste deux secondes et en prenant le recul nécessaire, on arrive très vite à une conclusion assez évidente. Et, pardon d’avoir à le dire, mais il faut être un crétin fini pour croire sérieusement que la majorité des femmes ne sait pas qu’un ours est dangereux, ni qu’il existe des hommes moins dangereux des ours. Et donc, si on accepte que les femmes ne sont ni stupides ni délirantes (je sais, gros challenge pour certains), c’est que la source du problème n’est pas à chercher de leur côté, et se rappeler que ce qu’elles subissent à longueur de temps dépasse probablement tout ce que je peux imaginer peut probablement expliquer cette position, que certains pourront qualifier de radicale. Et alors, à l'aune de cette incroyable épiphanie, l’injustice que je ressentais initialement me semble bien dérisoire. Mais elle n’en reste pas moins existence, donc il faut la gérer. Personnellement, j’essaie de la connecter, sans appropriation ou récupération, à sa cause profonde qui est l'injustice bien plus grande faite aux femmes. Elle est la mère de l’injustice, ou plutôt en l'occurrence, son père. C’est ça qu’il faut chercher à résoudre. L’ours n’est que conséquence.
C’est pourquoi il me semble important de rajouter de l’empathie dans tout ce fatras que sont les relations entre nous. Pas seulement femmes et hommes, ou bourgeois à prolétaire, ou je ne sais quel groupe à tel autre groupe, mais revenir à la base, d’humain à humain . Essayer de se mettre à la place de l’autre pour avoir une chance d'appréhender que La Réalité, c’est une somme de réalités vécues. Parce qu’il me semble que de juger sans chercher à comprendre, qu’à imposer une doctrine (y compris progressiste en passant) c’est une pure et simple négation de l’autre. Or la radicalisation tend à caricaturer l’adversité et la déshumaniser, qu’on soit progressiste ou non. Et si j’essaie toujours de voir l’humain derrière l’écorché, le violent ou l’ignoble ( je ne vais pas mentir, je n’y arrive pas toujours, juste j’essaie) c’est
J'ai commenté, je n'irais pas plus loin, encore moins sur un sujet que je ne maitrise pas mais, c'est très intéressant de vous lire.
Et si j’essaie toujours de voir l’humain derrière l’écorché, le violent ou l’ignoble ( je ne vais pas mentir, je n’y arrive pas toujours, juste j’essaie) c’est parce je suis convaincu que s’il y a bien une chose que l’histoire et les philosophes nous apprennent, c’est qu’à déshumaniser l’autre, on en vient à justifier l’injustifiable et, en retour, à l’appeler sur nous.
Pour répondre à Askelle,
Mais woke c’est un terme tellement parapluie, de base ça désigne quand meme toute personne attentive et engagée face aux discreminations et aux injustices, c’est donc indissociable du feminisme intersectionnel. Comme je disais plus haut je pense sincèrement que la critique peut etre constructive, mais j’aimerais bien qu’on puisse développer point par point si il y en a des critiques construites. Jusque-là je ne vois pas trop le problème ? Quels sont les points critiques du wokisme pour toi par exemple ?
Après, si on laisse la morale de côté et regarde ça sous un aspect purement dialectique, il ne me semble pas que (vrai ou pas), que de prendre le premier quidam venu qui a, statistiquement, déjà plein de problèmes à régler dans un monde particulièrement anxiogène et probablement aucune éducation politique qu'il este un oppresseur passif juste parce qu'il ne s'occupe que de ses affaires sans se rendre compte des quelques privilèges qu'il a. Je ne suis pas un pro des neurosciences, mais je ne serais pas surpris que le système un range ça direct dans la catégorie menace pour la survie (encore une fois, que ce soit vrai ou pas). Cela d'ailleurs me semble être du pain béni pour les oppresseurs actifs, qui n'ont même pas à se baisser pour faire passer les oiseaux de mauvais augure pour des extrémistes.
À titre personnel, je crois plutôt dans le pouvoir de l'éducation, de la bienveillance active et de l'art, mais j’ai aussi conscience d’avoir la partie facile en disant cela : mâle blanc né dans les beaux quartiers parisiens et avec des facilités dans les sciences et l’abstraction, j’ai été privilégié par rapport à la majorité. Je n’en tire ni fierté ni culpabilité, mais il serait indécent de ne pas reconnaître qu'au-delà de mon très hypothétique mérite (on parlera du mérite un autre jour hein!), j’ai quand même eu de la chance au tirage. Et du coup, la vie m’a probablement moins usé, moins abîmé que beaucoup d’autres et m’a, j’imagine, laissé une plus grosse réserve de compassion, qui me laisse bien d’autres choix que la radicalité pour agir sur le monde.
Tout cela, bien sûr, n’exclut aucunement la fermeté quand c’est nécessaire, entendons-nous bien. Mais sincèrement, les oppresseurs ont déjà le système de leur côté, ne leur donnons pas de bâton pour se faire battre ^^'
Jérôme je ne crois pas que ce soient des discussions de blanc, les theoriciennes intersectionnelles qu'on a citées plus haut sont des femmes noires. Si j’en suis là dans ma réflexion c’est aussi beaucoup d’avoir assisté a des discussions et réflexions de personnes racisées, précaires, queer et handies. Parce que l’entresoi c’est nul mais c’est encore plus nul quand c’est entré blancs cis heteros valides :D
“Les acquis sociaux ont été arrachés à coup d’émeutes et de révoltes parfois très violentes pour obtenir gain de cause. C’est ça que nous enseigne l’histoire.” Pardon mais, cette phrase me semble, au mieux, manquer de nuance. J’ai fait une rapide recherche, sur l’exemple de la France et les acquis sociaux des travailleurs et voici ce que j’ai trouvé (ça va sûrement prendre plusieurs posts):
1841: limitation du travail des enfants (à l’époque ce n’est que les enfant en dessous de 8 ans en passant). D'après Wikipedia, suite à la révolution qui a aboli toute réglementation du travail (un bel exemple de radicalité qui remplace des oppresseurs par d’autres, en passant), “Il s'agit de la première entorse au principe de non-intervention de l'État dans les relations entre patrons et salariés, qui prévalait jusque-là au nom de la liberté économique”. Aucun conflit social n’est à l’oeuvre ici (un dialecticien compétent d’ailleur aurait beau jeu de dépeindre le ridicule d’une révolte des enfants de moins de huit ans, mais pas de ça entre nous), les pressions sont d’une part philanthropiques et d’autres parts malthusiennes (trop d’enfants.
1864 : droit de grève. Là encore, la révolution l’avait supprimé en inventant le “délit de coalition” que supprime la nouvelle loi. Ici on a un contexte de conflit social, avec de nombreuses grèves illégales réprimées sévèrement, mais je n’ai pas trouvé trace de grandes émeutes. Il semblerait que l'artisan de la loi soir le demi-frère de Napoléon III dont la marotte était “Il est temps de donner de la liberté pour que nous l’arrache pas”. On peut donc reconnaître ici une certaine crainte de l’émeute, je le concède volontiers. Pour autant, celle-ci n’a pas été nécessaire.
1871: la commune. L’un des conflits sociaux les plus sanglants de l’histoire française, réprimé dans le sang qui, directement ne ne débouchera sur aucun changement politique, mais inspirera de nombreux courants de pensée (dont un certain Karl Marx), et renforcera ou ravivera la crainte des élites. Selon le point de vue, j’imagine qu’on peut dire que ça n’a effectivement débouché sur aucune loi, ou au contraire que c’était un acte fondateur.
1884 liberté syndicale. Vingt ans plus tard, dans un courant européen de naissance du syndicalisme, celui-ci est reconnu en France. Il est à noter que le syndicalisme, s’il naît effectivement d’une dynamique de lutte des classes avec un but d’être clairement en opposition au patronat, nombre d’historiens notent que ce sont surtout les aspects de communauté d'entraide de de promotion qui sont les vecteurs d'adoptions. Ce sont ces mécanismes d’entraide qui ont permis des grèves longues et durables, sans qu’il y ait eu de violence particulière. C’est donc ici bien une pression conflictuelle qui est à l’origine de la loi, mais pas des émeutes ou des violences.
1919 Journée de 8 heures. L'après guerre, c’est le théâtre de très nombreuses manifestations, avec la différence notable que la plupart des manifestants sont des anciens appelés qui ont bien moins peur d’en découdre avec les autorités qu’avant la guerre. La révolution Russe est dans tous les esprits, donc le pouvoir choisit la concession, en acceptant ce qui va devenir un standard international grâce au traité de Versailles, la journée de 8 heures. C’est ici effectivement, les violences en Russie qui ont permis aux syndicalistes français d’obtenir ces avancées.
1945 sécurité sociale . Suite à la révolution (tiens, ça me rappelle quelque chose), la disparition des corporations avait supprimé tout ce qui s’approchait de dispositifs mutualistes d’entraide, et des mécanismes privés non obligatoires ont été petit à petit remis en place jusque lors. Mais au lendemain de la deuxième guerre mondiale ça n’est plus tenable, et, d'après Wikipedia “la création de la Sécurité sociale faisait l’objet d’un consensus des partis politiques et de l'opinion publique”. Ici encore par de révolte ou d’émeutes, mais je peux sans souci concéder que l'après-guerre est un cas d’exception =)
1968 Accords de Grenelle. Bon,là ya pas à tortiller, émeutes et révoltes, ça cadre assez bien avec mai 68, on ne va pas se mentir. Je vais quand même noter que les historiens nous disent que plusieurs des facteurs qui ont permis Mai 68 sont, entre autres, la massification de l’éducation nationale et des études supérieures, l'augmentation du niveau de vie et l'avènement des médias de masse. Cela a permis d'obtenir une augmentation majeure du salaire minimum, et la création des sections syndicales d'entreprise. Donc ici, aucun doute, ce sont les révoltes qui ont directement pesé sur le pouvoir politique.
1981 retraite à 60 ans, 5eme semaine de congés, semaine 39h. Tout ça s’est fait par choix politique du gouvernement de gauche sans qu’il y ait signe d’émeute ou de révolte.
2000 loi sur les 35h, pour l’avoir vécu en tant qu’adulte je peux clairement témoigner que si en 2000 il y a eu des émeutes qui ont eu quelconque influence sur le gouvernement, elles étaient rudement bien cachées.
Donc si on résume, on a
émeutes et révoltes directes : 1968
Conséquence d’émeutes passées ou chez des voisins: 1884,1919, 1936
Pression sociale sans émeute ni révolte : 1864
Changement plutôt consensuel suite à débats : 1841, 1981,2000
Contexte exceptionnel: 1945
Pour rappel, je n’ai volontairement pris que l’exemple des travailleurs pour le propos,
n’allez pas dire que j’oublie toutes les autres luttes, c’est pas une thèse non plus, c’est déjà assez long comme ça =)
Et je renchéris sur l’importance de l’éducation et l’art, si l’on veut qu'après la révolte on ne se contente pas de remplacer les oppresseurs par d’autres, la révolution française est un bon exemple de pourquoi avoir des révoltés avec deux sous d’éducation et de compassion est tout aussi important !
De la même manière, faudrait être "malicieux" pour nier qu'il y a quand même une belle brochette de gays qui se font tabasser, de femmes qui meurent sous les coups de mâles (j'insiste) qui ont partagé leur couche et leur vie, ou d'Arabes qui partent avec un préjugé quand il s'agit de trouver un appartement.
Le problème ce n'est pas les causes et les gens que défendent aujourd'hui les courants les plus bruyants du progressisme : le problème, c'est la responsabilisation aveugle que leur corpus théorique opère sur toute une ethnie.
Je suis un mâle blanc, hétéro cis, doublé d'un sous-prolétaire (J'entends par là que je ne peux vivre que de la vente de ma force de travail, mais qu'il est plutôt rare qu'on me l'achète. ). Et cette identité n'est pas importante individuellement : elle l'est parce qu'elle m'a amené à fréquenter pas mal de personnes de ma strate socio-économique.
Et tous ces gens commencent à être fatigués qu'on leur répète qu'ils sont privilégiés (Je ne vais même pas détailler en quoi c'est obscène : j'ai un peu survolé le thème précédemment. ), voire racistes, alors que pourtant l'immigration se porte plutôt bien dans leur pays.
Alors on me demande de mettre mon ego de côté. Et effectivement je peux comprendre le fond du message.
Maintenant, cela semble-t-il à ce point inconcevable, que mes potes et moi, on commence à en avoir assez de se faire insulter par des groupes qui parallèlement, exigent notre collaboration (Faute de quoi nous serions d'infâmes tortionnaires. ).
Alors on parle ici (Comme ailleurs : ce n'est pas une thèse originale. ) de la radicalité comme d'un choix politique stratégique, voire incontournable.
Ce qui fait des discours, plus des leviers de transformation de la société, que des outils visant à rendre compte de façon détaillée d'une réalité nuancée.
Ce que je peux comprendre, puisque mon aussi je constate que les humains, même lorsqu'ils progressent, le font plus par la lutte des pouvoirs que par soucis d'éthique.
Mais ça, ça se paie mon ami. Et en face il y a des gens qui vont appliquer exactement les mêmes méthodes, c'est de bonne guerre.
Et ça demande beaucoup de culot de réduire le choix des populations qui suivront ces leaders de réaction, à un manque de morale ou d'éducation.
Bien sur que dans tous les mouvements il y a une masse critique d'individus qui ne sont que le fruit de leurs influences, juste bons à régurgiter les discours qu'on leur a répété.
Mais derrière, il y aura des gens qui auront très bien compris les enjeux et les méthodes
Et c'est d'ailleurs exactement ce qui est en train de se passer.
C'est que la polarisation des débats woke est alimentée et entretenue par leurs détracteurs autant que par ceux et celles qui s'en revendiquent, ce qui tend à cristalliser les postures manichéennes envers des groupes d'individus sur la base d'identités fixes. Cela peut mener à un glissement vers une essentialisation des groupes et à une réduction des débats complexes sur les questions identitaires. Ce clivage idéologique favorise souvent une intolérance envers les opinions divergentes, perçue comme une forme de censure où les critiques sont accusés d'être "insensibles", "privilégiés", "victimaires" ou "aliénés" sans débat nuancé.
D'une certaine façon, je comprends l'argument de la radicalité en terme d'indispensabilité mais de quelle radicalité parle t-on ?
Celle qui manifeste et défile en scandant des slogans ?
Celle qui commet des attentats ?
Celle qui impose des quotas de représentativités dans les films ?
Celle qui impose le port d'un brassard LGBTQIA+ à l'équipe de France ?
Celle qui exclut les "blancs" ou les "minorités" de certaines manifestations et évènements ?
Celle qui interdit le port du voile mais autorise les espaces naturistes ?
Celle qui s'engage en politique ?
Celle qui exclue les sportifs russes des compétitions internationales ?
Celle qui censure et/ou boycotte ?
Celle qui se syndicalise ?
Celle qui porte atteinte à l'intégrité physique ?
Celle qui séquestre les patrons ?
Celle qui gifle les présidents ?
Celle qui dégrade et brûle ?
Celle qui écrit des livres ?
Celle qui réforme par des actions et des propositions sociales ?
Celle qui attaque en justice ?
Celle qui se concrétise législativement et juridiquement ?
Celle qui participe activement aux débats publiques ?
Et d'ailleurs, est-ce que la radicalité se caractérise forcément par la violence, et laquelle ?