Accompagner les familles borderline à tendance dépressive
Entre soutien, limites et protection des enfants
Lorsqu’un parent vit avec une personnalité borderline associée à une tendance dépressive, c’est souvent toute la famille qui en subit les conséquences. Ces situations sont complexes, douloureuses et parfois déroutantes, aussi bien pour les proches que pour les professionnels qui accompagnent. L’équilibre familial devient fragile, les enfants se retrouvent souvent au cœur de tensions qu’ils ne comprennent pas, et les thérapeutes doivent naviguer entre empathie, mise en sécurité et respect de leur mission.
Qu’est-ce qu’une personnalité borderline à tendance dépressive ?
Le terme borderline désigne une manière de fonctionner marquée par une grande instabilité. Instabilité des émotions, des relations, de l’image de soi. La personne peut passer de l’enthousiasme à la tristesse, de la fusion à la colère, parfois en quelques heures. Elle vit les choses très intensément, ce qui la rend souvent épuisée et en quête de stabilité.
Quand cette personnalité est associée à une tendance dépressive, la souffrance s’accentue :
- sentiment de vide permanent,
- peur de l’abandon,
- découragement face à la vie,
- idées noires, parfois suicidaires.
Dans le cadre familial, cela peut se traduire par des **attitudes contradictoires* : un parent très affectueux un jour, puis distant ou agressif le lendemain**. L’enfant, ballotté dans ces changements brusques, perd ses repères et vit dans une insécurité émotionnelle permanente.
Les défis de la thérapie
La thérapie a un rôle essentiel : offrir un espace où la souffrance peut être exprimée et contenue. Mais elle se heurte rapidement à certaines limites.
- Des ruptures fréquentes : la personne borderline peut s’investir fortement dans la thérapie, puis tout arrêter brutalement en raison d’une déception ou d’une colère.
- Des crises récurrentes : le thérapeute est souvent sollicité dans l’urgence, ce qui rend difficile un travail de fond.
- Une alliance fragile : le patient peut idéaliser le thérapeute un jour, puis le rejeter le lendemain. Cela complique la mise en place d’un suivi stable.
- Un risque de dépendance : certains patients cherchent dans la thérapie un soutien exclusif, ce qui peut reproduire la dépendance affective qu’ils connaissent déjà dans leur vie personnelle.
Le professionnel doit donc poser des limites claires tout en maintenant une présence empathique. C’est un véritable travail d’équilibriste.
L’alliance thérapeutique : un fil précieux mais ténu
L’alliance thérapeutique est le lien de confiance entre le patient, sa famille et le thérapeute. Dans le cas des familles borderline, elle est indispensable mais particulièrement vulnérable.
Par exemple, une mère borderline peut se sentir trahie si le thérapeute s’adresse directement à l’enfant pour recueillir son ressenti. Un père peut percevoir une remarque comme un jugement et mettre fin brutalement au suivi. Ces réactions imprévisibles demandent au thérapeute une vigilance constante et une capacité à réparer la relation après une rupture.
Construire cette alliance prend du temps, beaucoup de patience et une posture très claire : le thérapeute n’est ni un allié contre la famille, ni un juge, mais un accompagnant bienveillant qui garde toujours en tête l’intérêt de l’enfant.
Quand la souffrance met les enfants en danger
Parfois, la souffrance du parent déborde et met directement en danger l’équilibre, voire la sécurité des enfants. Cela peut se manifester par :
- des violences verbales ou physiques,
- une négligence (l’enfant n’est pas nourri correctement, laissé seul, exposé à des scènes traumatisantes),
- des tentatives de suicide répétées devant les enfants,
- des conflits de couple extrêmement violents.
Dans ces cas, le rôle du thérapeute ne s’arrête pas à l’accompagnement. La loi et l’éthique imposent une responsabilité claire : protéger l’enfant.
Cela passe par un signalement aux autorités compétentes (CRIP, services sociaux, Procureur). Ce signalement n’est pas une trahison, mais un acte de protection. Il ne s’agit pas de juger le parent, mais de dire : « la situation dépasse ce que la thérapie peut contenir, il faut mettre en place d’autres mesures pour que l’enfant soit en sécurité. »
Bien sûr, ce geste peut briser la relation thérapeutique déjà fragile. Mais il rappelle une priorité absolue : avant tout, protéger l’enfant.
Exemple concret (anonymisé)
Un thérapeute suit une famille où la mère, très instable, alterne entre des phases de tendresse excessive et des colères violentes. L’enfant de sept ans vit dans une peur constante. Malgré plusieurs mois de suivi, la mère continue à avoir des comportements mettant en danger son enfant. Le thérapeute décide alors de faire un signalement. La mère arrête la thérapie, se sentant trahie. Mais le signalement permet la mise en place d’une aide éducative et d’un suivi spécifique pour l’enfant.
Cet exemple illustre bien la complexité : la thérapie seule ne suffit pas toujours, et le thérapeute doit accepter que protéger l’enfant prime sur la continuité du suivi.
Accompagner les familles borderline à tendance dépressive, c’est accepter de travailler dans l’incertitude, avec des avancées fragiles et parfois des reculs douloureux. La thérapie apporte un soutien, une écoute et un cadre, mais ses limites apparaissent vite lorsque la souffrance déborde sur la vie quotidienne.
Le thérapeute doit rester clair sur son rôle :
- soutenir le parent,
- protéger l’enfant,
- poser des limites,
- accepter les ruptures et travailler à les réparer quand c’est possible.
L’alliance thérapeutique est un fil ténu qui peut se rompre, mais qui reste essentiel pour permettre, même par petites touches, des moments d’apaisement et de reconstruction. Et lorsque la sécurité des enfants est en jeu, le devoir de signalement s’impose, même au prix d’une relation interrompue.
C’est dans ce fragile équilibre entre accompagner la souffrance et protéger la vie que réside tout l’enjeu de l’accompagnement de ces familles.
📞 Numéros utiles
En France
- 119 – Allô enfance en danger : numéro gratuit, 24h/24 et 7j/7.
- 15 – SAMU : en cas d’urgence médicale immédiate.
- 3114 – Numéro national de prévention du suicide : 24h/24 et 7j/7.
- 3919 – Violences Femmes Info : violences conjugales et intrafamiliales.
En Belgique
- Écoute Enfants : 103 – gratuit et anonyme.
- Centre de prévention du suicide : 0800 32 123 – disponible 24h/24.
- Police / urgence : 101 (police) ou 112 (urgences générales).
Ces ressources peuvent compléter l’accompagnement thérapeutique et constituent des relais indispensables lorsque la sécurité des enfants ou la vie d’un parent est en danger.
