Imaginez un lac rouge sang, si salé et si caustique qu’il momifie tout animal qui s’y aventure.

Plus ou moins... Enfin si, mais pas tout à fait, mais quand même...

Ça existe, et ça s’appelle le lac Natron, au nord de la Tanzanie, non loin de la frontière kenyane. À la croisée de la science, du fantastique et des légendes, ce lac est l’un des endroits les plus étranges de la planète.

Naissance d’un lac infernal

Le lac Natron s’est formé dans une vallée du Rift d’Afrique de l’Est, une zone où la croûte terrestre s’étire et se fracture. Les volcans environnants (notamment l’Ol Doinyo Lengai, surnommé “la montagne de Dieu” par les Massaïs) crachent une lave riche en sodium et potassium carbonaté.

Résultat : quand l’eau des pluies s’accumule dans ce bassin fermé, elle devient un cocktail caustique. Et comme il n’y a pas d’évacuation possible, l’eau s’évapore sous le soleil, concentrant encore plus les sels et alcalins.

Le pH peut grimper jusqu’à 10,5 (équivalent à de l’ammoniaque).

Un peu d’Histoire et de légendes

Le nom Natron vient du mot égyptien ntrj, qui désignait un mélange de sels naturels. Les Égyptiens de l’Antiquité utilisaient déjà ce minéral pour la momification ! C’étit justement l’un des principaux ingrédients pour réaliser ce fameux rituel.

Pour les Massaïs qui vivent non loin, le lac et le volcan Ol Doinyo Lengai sont des lieux sacrés et dangereux. Ils racontent que les eaux du Natron ne sont pas faites pour les humains, qu’elles appartiennent aux esprits. On parle même d’un "miroir des morts", un lieu où le monde des vivants et celui des ancêtres se croisent.

Certaines tribus évitent encore de s’approcher du lac : sa couleur rouge sang en saison sèche et son odeur (dégagement de soufre et d’ammoniaque) suffisent à alimenter une aura mystique. Et on les comprend.

Curiosité moderne

Explorons ce qui fait la renommée du lac.

• Une couleur sanglante : la couleur du lac change selon les saisons, allant du rose pâle au rouge profond, à cause des cyanobactéries qui produisent des pigments.
• Une température infernale : l’eau peut atteindre 60°C par endroits.
• Un décor de science-fiction : avec sa surface craquelée, ses couleurs hallucinantes et ses animaux momifiés, le lac a inspiré des comparaisons avec Mars ou un film post-apocalyptique.

Est-ce une coïncidence si le lac porte le nom d’un ingrédient de la momification de la Haute Égypte ? Pas vraiment. Le lac porte bien son nom : il continue, naturellement, à figer les corps dans une "vie éternelle". En effet, la véritable curiosité de ce lac est le fait qu’il semble pétrifier toute vie qui s’en approche.

La pétrification : pas de magie, juste de la chimie

Le lac agit comme une solution de momification express. Lorsqu’un oiseau ou une chauve-souris malchanceux s’écrase à la surface, les minéraux alcalins imprègnent rapidement le corps.

On observe donc une calcification rapide qui donne l’impression que l’animal s’est transformé en statue de pierre.

C’est le photographe Nick Brandt qui a popularisé cette image glaçante en 2013 : il a photographié des oiseaux et animaux, trouvés morts et momifiés au bord du lac, dans des poses théâtrales. Le monde a découvert le "lac qui transforme les animaux en pierre".

Nick Brandt a trouvé de façon inattendue ces animaux échoués sur le rivage du lac. Dans une interview il a déclaré : « J’ai pris ces créatures telles que je les ai trouvées sur la rive, et les ai ensuite placées dans des positions "vivantes", les ramenant à la "vie", d’une certaine façon ».

Mais la vie trouve un chemin : les flamants roses

Et là, twist incroyable : malgré son apparente hostilité, le lac Natron est un sanctuaire de vie.

Chaque année, jusqu’à 2,5 millions de flamants nains viennent y nicher. Leurs pattes résistent à l’eau caustique, et ils s’alimentent des cyanobactéries (des micro-algues capables de prospérer dans ces conditions extrêmes et responsables de la couleur de l’eau).

Ironie du sort : ce lieu qui tue la plupart des oiseaux est en même temps la plus grande maternité de flamants roses au monde.

En résumé

Le lac Natron, c’est un paradoxe : un endroit qui tue et qui fait naître, qui repousse et qui attire. Un lieu où la chimie rencontre la poésie, où les flamants roses élèvent leurs petits au-dessus des cadavres pétrifiés d’oiseaux imprudents. Bref, une démonstration magistrale que la Terre adore jouer avec les contrastes.