Les saintes chez les primitifs flamands : Spectacle divin rempli de symboles.
Aujourd’hui, j’avais envie de vous donner quelques astuces pour épater la galerie et pouvoir dire à Tonton Roger qui est représenté sur les tableaux des Primitifs Flamands.
Pour ce faire j’ai choisi un diptyque de Hans Memling : le diptyque de Jean du Cellier.

Ha les primitifs flamands... ils nous offrent des tableaux riches en couleurs et en symboles... mais à l’heure actuelle, on ne nous apprend plus toutes les clés de lecture.
On va surtout s’intéresser à la partie de gauche... La Vierge en grande conversation avec ses 6 copines (Ce genre de peinture s’appelle d’ailleurs une sacra conversazione). Elles sont toutes peintes avec leurs attributs respectifs.
Tout d’abord Sainte Catherine.
Elle est ce qu’on appelle une mégalomartyre.
Ses attributs ? La roue brisée et le glaive.
Son crime ? Grande érudite, elle aurait par sa beauté et son savoir converti au christianisme la cinquantaine de grands orateurs censés venir lui prouver qu’elle avait tort.
Son martyr ? Le supplice de la roue qui se serait brisée par un éclair de Dieu et le glaive qui servit à la décapiter.
Au-dessus d’elle : Sainte Agnès.
Ses attributs ? Un agneau symbole de pureté et de virginité, son nom "Agnès" étant associé à l’agneau.
Son crime ? Jeune romaine qui refusa de se marier (Agnès signifiant Chaste et pur).
Son martyr ? Brûlée et égorgée.
Tout au-dessus à gauche : Sainte Cécile
Ses attributs ? Patronne des musiciens, elle chantait divinement bien et lors de son martyr une musique céleste se serait fait entendre. Elle est donc logiquement représentée avec un instrument de musique.
Son crime ? Mariée de force, elle aurait converti son mari et l’amena à respecter son vœu de virginité.
Son martyr ? La décapitation. Mais on raconte qu’après 3 coups de hache, la tête tenait toujours (la loi romaine interdisait le quatrième coup). Elle agonisera 3 jours durant.
Partons à la droite de la Vierge.
Tout en haut nous avons Sainte Lucie.
Ses attributs ? Un plateau sur lequel sont déposés ses yeux.
Son crime ? Son fiancé n’aurait pas apprécié qu’elle ait fait vœu de piété et de chasteté. On raconte qu’il lui aurait dit qu’il tenait tant à elle à cause de ses yeux, qu’elle se les serait arrachés elle-même, et les lui aurait portés à tâtons sur un plateau.
Son martyr ? Envoyée dans un lupanar ensuite recouverte de poix, de résine et d’huile bouillantes, on la fait entourer d’un bûcher auquel on met le feu mais comme rien n’y fait, et qu’en plus elle chante, on lui enfoncera une épée dans la gorge.
Au milieu, Sainte Marguerite.
Ses attributs ? Un dragon comme animal de compagnie.
Son crime ? Ayant fait vœu de virginité, elle repousse les avances d’un gouverneur romain.
Son martyr ? Menacée de sévices et battue en prison, un dragon serait sortie de terre pour l’engloutir, mais elle sortit indemne de son ventre. Ensuite elle sera déshabillée et torturée à l’aide de lames brûlantes sur un chevalet, puis noyée dans un bassin et comme rien ne fonctionne, elle sera décapitée.
Et enfin Sainte Barbe.
Ses attributs ? Une tour et un livre.
Son crime ? Avoir fait vœu de virginité.
Son martyr ? Enfermée dans une tour en raison de sa grande beauté, son père païen n’accepte pas son refus de se marier. Elle sera rouée de coups et jetée en prison. Le lendemain on lui coupera les seins et elle sera promenée nue dans la ville. Enfin, son père lui tranchera le cou.
Tant de beauté dans ses peintures et tant de cruauté dans les histoires racontées. Tout ça, parce qu’elles ne voulaient pas se marier. Le patriarcat a encore hélas de beaux jours devant lui… c’est pourtant pas compliqué de comprendre « Mon corps, mes choix », non ?
Je suis sur qu'il aura tellement de chose à dire, soit pour défendre, soit pour enfoncer le patriarcat, avec lui nous pouvons nous attendre à tout !
Tant de cruauté, pour des choix qu'elles avaient fait ! Elles ont données leurs vie pour avoir refusé le mariage mais aussi pour avoir défendu leur virginité. Nous pouvons ici aussi constaté leurs valeurs et leurs obéissance à dieu.
Ce qui frappe, c’est que la peinture transforme des récits de violence extrême en scènes de calme et d’harmonie. Les saintes, pourtant victimes de tortures infligées par des hommes au nom du pouvoir ou de la loi, sont représentées sereines, idéalisées, souvent dans un décor bucolique. Cela reflète une vision patriarcale où la souffrance féminine est esthétisée et sanctifiée, et où la vertu des femmes se mesure à leur capacité à subir sans révolte, en conservant grâce et douceur.
Et le contraste entre la beauté du tableau qui inspire la sérénité et les atrocités subies par ces saintes et très troublant.
Dans l'antiquité et au moyen-âge ? Oh que si ! :D
Pour en revenir au dyptique de Jean du Cellier, (faut que je retrouve ma source) bien que l'oeuvre soit encore couramment associé à Memling, des recherches d'authentification quant à son véritable auteur ont été menés (et sont tjrs cours ?).
Le dyptique de Jean de Cellier semble en effet avoir été inspiré par "Le mariage mystique de Sainte Catherine" du Triptyque véritable de Hans Memling dont le volet centrale ressemble plutôt à ça :
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/5/50/Hans_Memling_065.jpg
Concernant les peintures, on parle de "saintes" dont les représentations peuvent difficilement être autrement éclairées qu'à la lumière du caractère légendaire des hagiographies qui ont fondés leur mythe.
Par conséquent, si le sort réservé à certains personnages féminin légendaires et historiques peut trouver une pertinence à être comparé avec les femmes d'aujourd'hui et au regard des mœurs actuelles, on est quand même tenté de faire preuve d'un certaine distance et forme d'ironie. D'autant plus quand on sait que la fonction et la force de l'iconographie réside justement dans la représentation purement symbolique des "évènements" et surtout pas dans une quelconque forme de réalisme.
Merci pour cette chouette synthèse et les nombreuses questions que cette oeuvre continue de susciter ... (Pourquoi réunir ces 4 saintes là ?)
Elles sont réunies car :
1.Elles sont toutes des vierges martyres
2.Elles forment un “panthéon” féminin exemplaire
3.Elles étaient très populaires dans la piété médiévale
4.Elles servaient de “cour céleste” autour de la Vierge