Quand le corps fige et que l’esprit décroche : la dissociation comme ultime mécanisme de défense
La dissociation est un mot qu’on entend de plus en plus, mais que beaucoup continuent à mal comprendre. Ce n’est pas un caprice de l’esprit ou un trouble venu de nulle part : c’est un mécanisme de survie, une stratégie d’urgence que le cerveau déploie lorsqu’il est submergé par un danger physique ou émotionnel trop intense.
Dans cet article, on plonge au cœur de ce phénomène pour comprendre comment le cerveau déconnecte pour protéger, et pourquoi ce réflexe peut parfois laisser des séquelles bien après la fin du danger.
Le cerveau face au danger : se battre, fuir… ou se figer
Notre système nerveux autonome dispose d’un pilote automatique redoutablement efficace pour nous maintenir en vie. Lorsqu’un danger surgit, le cerveau archaïque — en particulier l’amygdale — scanne l’environnement et déclenche une cascade de réactions : c’est la célèbre triade Fight – Flight – Freeze (Combat – Fuite – Figement).
Quand on peut fuir, le corps s’active.
Quand on peut se battre, l’énergie est mobilisée.
Mais quand aucune issue n’est possible, alors le système nerveux se fige.
Ce moment de "freeze" est souvent méconnu, alors qu’il est crucial. Le corps devient immobile, les muscles tendus, la respiration se suspend, les pensées ralentissent ou s’arrêtent. L’individu n’a plus accès à l’action. C’est à ce moment précis que peut surgir la dissociation.
Adrénaline, cortisol : le cocktail du stress aigu
Dès les premiers signes de danger, le cerveau ordonne la libération massive d’hormones du stress : l’adrénaline d’abord, puis le cortisol.
- L’adrénaline agit comme un starter : elle accélère le rythme cardiaque, dilate les pupilles, coupe la digestion, mobilise les muscles pour l’action.
- Le cortisol, lui, a un effet plus durable : il régule l’énergie disponible, freine les réponses inflammatoires, et permet à l’organisme de "tenir".
Ces hormones sont essentielles à la survie. Mais lorsqu’elles sont produites de façon prolongée ou trop intense, elles peuvent avoir des effets secondaires délétères : troubles du sommeil, mémoire altérée, immunité affaiblie…
🧠 Corrigeons une idée répandue :
Ce n’est pas parce que ces hormones deviennent létales (au sens strict) que la dissociation se déclenche.
La dissociation intervient en amont de ce seuil, lorsque la perception du danger devient intolérable pour l’intégrité psychique. C’est une coupure de courant volontaire orchestrée par le cerveau pour éviter un effondrement.
Dissocier pour survivre : quand le cerveau débranche
La dissociation est une forme d’autoprotection extrême. Le cerveau déconnecte certaines fonctions (mémoire, émotions, perception corporelle) pour éviter que le traumatisme ne laisse une empreinte trop lourde.
Il existe plusieurs formes de dissociation :
- Dépersonnalisation : on ne se reconnaît plus, on a l’impression de flotter à côté de soi.
- Déréalisation : le monde semble irréel, comme dans un rêve ou un film.
- Anesthésie émotionnelle : plus rien ne traverse, ni joie ni douleur.
- Amnésie partielle : certains événements sont flous, fragmentés, inaccessibles.
Ces états peuvent durer quelques minutes… ou s’ancrer plus durablement si le trauma n’est pas reconnu ou traité.
Un mécanisme utile… mais coûteux
La dissociation permet de traverser l’insoutenable. Elle sauve une vie, parfois au sens propre.
Mais elle peut aussi laisser des traces : flashbacks, troubles de la mémoire, déconnexion émotionnelle, difficultés relationnelles.
Quand elle devient chronique, elle peut s’inscrire dans des troubles dissociatifs, voire des syndromes de stress post-traumatique complexes.
Et parce qu’elle coupe aussi l’accès aux ressentis, elle rend plus difficile l’élaboration psychique de l’événement vécu.
Accompagner une personne dissociée
Pour aider une personne en état de dissociation, il ne faut pas forcer la mémoire ni les émotions, mais restaurer d’abord la sécurité :
- Techniques d’ancrage corporel : se reconnecter à ses sensations, à sa respiration.
- Travail psychoéducatif : comprendre ce qui se passe dans le corps et le cerveau.
- Approche progressive et bienveillante : ne pas précipiter la verbalisation du trauma.
- Thérapies adaptées : comme la TCC, l’EMDR ou les approches corporelles douces.
Reconnaître la dissociation, c’est reconnaître un corps qui a voulu vivre
Derrière une dissociation, il y a un cerveau qui a voulu protéger, un organisme qui a pris le relais quand la personne n’en pouvait plus.
C’est un acte de survie, pas une faiblesse. Une stratégie d’urgence, pas un dysfonctionnement.
En apprenant à reconnaître ces signes, à les comprendre et à les accueillir, on permet à ceux qui ont été confrontés à l’insoutenable… de revenir progressivement à eux, sans violence, sans honte.
Je n’ai pas d’expérience ou de retour autour de la dissociation ni pour moi ni pour des patients. Mais un plaisir à lire
Dans le cadre de mon travail je dois souvent mettre une distance avec le corp des autres, je ne sais pas si ca peut se comparer mais au moment des soins mortuaires j'arrive a faire un switch et a ne plus penser a la personne mais juste un corps anonyme. Ce n'est plus mr x en soin palliatifs dont je m'occuper depuis 3mois mais juste un corps inerte qui doit être préparer pour son dernier voyage.
C'est assez étrange comme phénomène mais ton article m'y fait grandement penser.
Article intéressant... Merci pour ces infos !